récit
en mars 2015, je me rendais pour la première fois à reims, afin de découvrir le lieu où j'enseignerais, je l'ignorais encore, pendant deux ans.
entre septembre 2015 et juin 2017, j'ai finalement parcouru 121 fois le trajet entre paris et reims.
j'y suis retournée en mars 2018, puis en janvier 2020.
cela représente 5 445 minutes, soit 90h45 de tgv, pour une distance d'environ 145 km.
je ne vais plus à reims;
mais j'essaie de m'en souvenir.
réalisé à partir de différentes traces recueillies lors de ces voyages (photos, notes, croquis, cartes),
ce récit est une tentative de synthèse et de mémoire, afin de retenir * ces images-paysages
* retenir est ici entendu au sens propre (empêcher un éloignement en tirant vers soi) et au sens figuré (garder en mémoire)
je ne vais plus à reims
depuis la fenêtre du train
06:00 réveil. La plupart du temps il fait nuit.
Parfois l'aube éclaire un peu le ciel.
A cette heure-ci, tout est minuté.
Depuis ma cuisine, je vois toujours les mêmes fenêtres éclairées.
Elles m'indiquent qui, comme moi, est éveillé.
06:02 l'eau bout.
06:15 la douche coule.
06:30 je me sèche, je m'habille, pour un départ à
06:45 il faut dire que le train part dans 25 minutes, et que chaque instant est attribué précisément.
Rejoindre la Gare de l'Est en vélo dans la nuit encore froide.
Répéter les mêmes gestes.
Vérifier le quai, le wagon, la place.
S'accouder, enfin, à la fenêtre*.
*la grille de ventilation laisse ici sa marque sur mon bras, en alternant le trop chaud et le trop froid.
Dans un premier temps, c'est le noir qui domine.
Quelques lumières et enseignes de la ville qui s'éveille.
Le rail a tranché le tissu urbain et le traverse en contrebas.
Je vois le dos des immeubles, les fenêtres carrés des salles de bain et des cuisines.
07:24 le noir complet des zones non construites.
Quelques lumières, comme des lanternes qui scintillent à l'approche du train.
Premier geste de l'aube : le ciel se différencie très légèrement,
en devenant bleu sombre
quand la terre, elle, reste noire.
Quand le jour se lève, c'est l'horizon qui inaugure la journée.
C'est à partir de cette ligne lointaine que se dévoile la lumière du ciel.
Après le bleu généralisé apparaissent les premières couleurs de la terre et des champs.
Une palette verte, marron et grise commence à se déterminer.
Des routes parallèles.
D'autres qui s'échappent, sinueuses ou directes.
Il faut dire que ce paysage est vallonné et étendu.
Les arbres constituent souvent des bosquets perchés ou des individus esseulés.
Les pylônes électriques, ombres chinoises, géométries de lignes multidirectionnelles, grésillent.
Certains jours, tout reste bleuté.
D'autres jours, le beige gris domine.
Sur le sol vallonné, des routes, des autoroutes.
Les voitures et camions frôlent le train, se rapprochent, repartent.
Quand soudain, alors que mon regard se perd dans d'autres pensées,
le soleil.
A chaque voyage où il apparait, le miracle se renouvelle.
Boule rouge ou stries orangées. Nuages et terres rosés.
L'image de l'éclat maîtrisé par un ciel brumeux reste celle qui sera la plus marquante.
Figure qui se répète dans les croquis, les dessins.
Une spirale lumineuse et colorée, qui apparait derrière les lignes des pylônes et coïncide avec l'arrivée.
épilogue :
puis un jour, le givre, la neige.
ciel blanc. terre grise, claire, brillante.
le blanc n'est définitivement pas une couleur, c'est un ensemble de nuances.
par Pénélope Lepew
extraits des carnets de notes prises dans le train